samedi 8 octobre 2016

Tout va donc si mal en éducation ? Réponse à la lettre de l'enseignant Stéphane Boulé

Le 2 octobre dernier, M. Stéphane Boulé (enseignant au secondaire) publiait une lettre d'opinion dans le journal La Presse +  


Voici ma réponse :

Par une coïncidence malheureuse, votre lettre semble être le préambule au coup d'envoi de la Semaine pour l’école publique qui débutait le 2 octobre dernier.  J’ai ressenti diverses émotions en lisant votre texte, or jamais de ce que l’on appelle de la fierté.

À votre affirmation, « Oui, la majorité des jeunes Québécois réussissent ! », j’ajouterais la question suivante : pourquoi moins au Québec qu’ailleurs ? Loin de moi l’idée de vouloir briser votre merveilleux conte de Disney, mais je crois que votre discours est un brin déconnecté.  Dans un paysage dévasté, votre histoire fantastique met l’accent sur une magnifique licorne. Serait-ce de la naïveté, de la jovialité ou de la mauvaise foi ? Sachant que vous enseignez dans une école privée sélective en banlieue de Québec depuis les années 90, je suppose que vous souffrez d’une vision biaisée.

D’abord, vous refusez qu’on salisse notre système scolaire. C’est tout à votre honneur. Toutefois, il ne s’agit pas d’une campagne de dénigrement, mais plutôt de constats lucides. Les problèmes vécus dans le système d’éducation font la une et c’est tant mieux. Comment espérer des changements autrement ? J’imagine que je ne vous apprends rien en affirmant que l’humain est à la recherche de solutions pendant les jours sombres. Lors des journées ensoleillées, il est plutôt du genre « imbécile heureux ».

À vos yeux, « l’une des plus importantes (belles et grandes choses de notre système scolaire) est que la majorité des jeunes qui y entrent en sortent avec un diplôme sous le bras. » Voilà une affirmation intéressante. Vous aimez les devoirs ? Je vous invite à lire le rapport Ménard (2009) sur le drame individuel, les conséquences sociales et les coûts astronomiques liés à l'abandon scolaire. Il vous permettra de nuancer vos propos et d’élargir votre perspective.

En fait, à la suite de la lecture de votre lettre, tout va encore plus mal que je ne le croyais. Je vous cite : « Pour moi qui ai enseigné le français à près de 4000 adolescents depuis le début des années 90, il en ressort très clairement que ce n’est pas le milieu social ou le revenu familial qui, en premier lieu, fait qu’ils réussissent leurs études. » Cet extrait (et j’aurais pu en choisir d’autres) illustre bien le fondement de votre argumentation : votre expérience personnelle. Dans mon champ d’enseignement, cela porte un nom : une pseudoscience. De lire un enseignant en faire usage est très inquiétant.

Malgré toute votre bonne volonté, ce texte fait ressortir ce que l’on reproche à plusieurs acteurs du monde de l’éducation : un discours et des actions qui se fondent très peu sur l’utilisation des données probantes. En cette période de consultations publiques sur la réussite éducative, le Québec cherche des priorités d’action en éducation. Entre autres, des voix s'unissent pour la création d'un Institut national d'éducation publique. À votre insu, vous faites une démonstration éloquente de sa pertinence.

Néanmoins, je partage votre avis quant à l’importance de l’engagement. C’est pourquoi j’oserais proposer un gentil devoir à tous les enseignants voulant s’engager dans la réussite du plus grand nombre. Je vous suggère de lire le livre de Baillargeon intitulé Légendes pédagogiques et l’ouvrage Visible Learning de Hattie. Il serait aussi souhaitable de consulter le site Internet RIRE (Réseau d'information pour la réussite éducative). Je crois qu’il s’agit là d’un bon départ.

En terminant, je dois vous avouer que je me suis surpris à afficher un petit sourire narquois en réfléchissant à votre texte. Je me suis dit qu’il s’attaquait tout de même à une croyance populaire… Celle qu’il n’y a qu’à l’école publique que l’on doive combattre le manque de rigueur scientifique.

 

 

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